Raconter et éditer ses souvenirs de la guerre d’Algérie

Pour nos clients nés après-guerre, faire écrire ses mémoires consiste de plus en plus souvent à parler de la guerre d’Algérie. Pour cette génération, il s’agit d’un événement incontournable, sûrement celui qui les a le plus marqué. Dénommée par la France de l’époque « événements d’Algérie », ce conflit oppose l’État à des indépendantistes locaux, principalement réunis sous la bannière du Front de libération nationale (FLN).
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Les faits se déroulent de 1954 à 1962 sur le territoire des départements français d’Algérie. En 1954 plusieurs attentats visent les intérêts de l’hexagone. Les harcèlements, les tensions se multiplient. La crise prend une tournure politique lorsqu’en 1958, le gouvernement affiche clairement son intention de discuter avec le Front de libération nationale (FLN). Cet extrait d’un livre que nous avons édité en 2017 rend compte de cette ambiance si particulière : L’étau se resserrait de toutes parts, mais ce qui décida réellement ma mère à partir, ce fut la visite en septembre 1962 d’un groupe d’Algériens venu d’un autre quartier. Ils s’approchèrent de son étal et lui dirent : « Tu pars demain sinon on te tue, toi et tes enfants. » Affolée, maman est allée chercher de l’aide auprès des autochtones qu’elle connaissait, mais tous hochèrent la tête, impuissants : « On ne peut rien faire pour toi, on ne sait même pas qui ils sont. Il vaut mieux que tu partes. »
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Des témoins aux histoires opposées

Depuis le début des années 2010, les membres de chaque communauté sont de plus en plus nombreux à nous contacter pour faire écrire leurs mémoires de la guerre d’Algérie. Qui sont-ils ? Les réservistes, les familles du FLN, les insurgés de la première heure, les descendants des généraux putschistes, mais surtout les Pieds-noirs. Sans oublier toute la population métropolitaine qui a vécu les événements au jour le jour. Voici une classification par ordre décroissant du nombre de projets menés depuis une quinzaine d’années selon le type de témoins.

Les Français appelés

Contrairement à l’Indochine qui avait mobilisé les militaires professionnels, le conflit en Algérie fait intervenir plus de 1,5 million de jeunes appelés. Ce conflit va donc concerner quasiment toutes les familles de métropole ! On en parle peu mais il y a eu tout de même plus de vingt mille morts dans nos rangs. Parmi nos clients, et ce depuis près de vingt ans, bon nombre demeurent très marqués par cette guerre. D’autant plus qu’elle est restée longtemps taboue. La plupart ont préféré taire ce qu’ils ont vu : des scènes de grande violence, des tortures, des traumatismes ou des humiliations à l’égard de la population autochtone. Depuis peu et la déclassification progressive des archives, ces grands-pères ou arrières-grands-pères commencent à vouloir parler, raconter ce qu’ils ont vu.

C’est en 1955 que les appelés partent pour l’Algérie. Ils sont jeunes et viennent de toute la France. Ils sont acheminés vers la gare Saint-Charles à Marseille, direction Oran ou Alger. Sans doute l’un des actes les plus durs : le 28 mai 1957, ils découvrent trois cents villageois exterminés au couteau à Melouza. Quelques mois plus tard, c’est l’horreur absolue avec la découverte des corps de leurs propres camarades découpés à la hache. C’est ensuite l’escalade : de nombreux appelés basculent dans la folie, la haine de l’arabe. Les actes de vendetta se multiplient, les tortures également.

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Les Pieds-noirs

Aujourd’hui la communauté des Pieds-Noirs, très nostalgique, est la première à nous solliciter pour raconter ses mémoires sur cette période. En témoigne cet extrait émouvant d’une biographie éditée en 2015 : « Vous, les pieds-noirs, que nous avons chassés de votre terre natale, nous avons vite compris que vous aimiez ce pays plus que nous. Parce que vous l’aviez enfantée dans la douleur et élevée avec courage et dans le sacrifice.

Le peuple algérien d’après 1962 n’arrivera jamais à faire quelque chose de ce pays, car pour la grande majorité, ils l’ont trouvé comme un beau jouet laissé à des enfants gâtés. Le jouet est cassé depuis longtemps et les dirigeants qui ont accaparé le pouvoir ont été incapables de stimuler le peuple pour lui faire aimer son pays. Au contraire, ils n’ont rien fait pour dissuader, retenir tous ceux qui l’ont fui. Ils ont même exigé plus de visas et de conditions d’accueil des pays étrangers. Ils ont passé leur temps et leur énergie à alimenter les rancunes et la haine envers vous, les pieds-noirs, et la France pour faire diversion de leur incompétence… »

Les partisans de l’Algérie française

Cette frange de la nation hostile à l’indépendance de ces départements d’Afrique du Nord est ulcérée et provoque des remous incessants, appelant au retour du général de Gaulle pour maintenir la souveraineté de la France. L’insurrection se développe et provoque le retour au pouvoir du général et la chute de la Quatrième République, remplacée par la Cinquième. La création de l’OAS

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« Les communautés se côtoyaient paisiblement, puis la politique a tout détruit et la coexistence est devenue impossible. Certains colons abusaient-ils de leur pouvoir dans les campagnes ? L’indépendance serait-elle devenue inéluctable à un moment ou un autre ? Les choses auraient pu se passer différemment si de Gaulle avait joué cartes sur table dès le début.

Autre fait marquant pour lequel un bon nombre de nos clients a souhaité écrire leur biographie : le putsch des généraux. Dégouttés par la politique de la France, ces généraux veulent à tout prix que le pays conserve ses départements. Mais de Gaulle ne leur cède pas et interdit à l’armée de suivre leurs ordres. Le putsch échoue et les durs de durs créent l’OAS (Organisation de l’armée secrète), organisation dans laquelle s’engouffrent les défenseurs le plus acharnés de l’Algérie française. L’OAS cessera d’exister à l’indépendance en 1962.

Les résistants

Parallèlement à l’affluence de témoignages d’anciens appelés, de plus en plus de clients d’origine algérienne nous appellent pour écrire un livre sur leurs souvenirs de résistants à l’armée française. Ils ont été des maquisards (ou « fellagas ») entre 1954 et 1962. Combattants ou partisans, voire infirmiers. C’est le cas de Houria Madaci qui témoigne dans son livre passionnant « Envol d’une femme libre », un véritable récit d’aventure. Extrait : « Évidemment, je n’avais aucune nouvelle de ma famille. Il en était de même pour tout le monde. Je savais juste que ma sœur, alors âgée de quatorze ans et élève de troisième, avait été embarquée dans le maquis. Des jeunes filles étaient enrôlées pour montrer au monde que le peuple entier se soulevait, y compris les femmes. Quand je prenais de ses nouvelles, on me répondait « Habiba elle est morte depuis longtemps », on lui disait la même chose me concernant, c’était fait pour éviter une quelconque prise de contact. La coupure totale. »

Des projets de mémoires compliqués à mener

Choisir un biographe maîtrisant cette période

Petites histoires ou grande Histoire ? A l’heure où la déclassification des archives militaires commence à apporter la vérité sur de nombreuses affaires, il est encore un peu tôt pour étudier ce conflit guerre en tant que simple période historique. Les actes commis demeurent trop frais dans la mémoire collective.

Pour raconter ses mémoires sur cette période très spéciale, il faut absolument se confier à un biographe connaissant suffisamment l’histoire française. Il s’agit d’une double guerre civile, entre différentes communautés mais aussi à l’intérieur même de ces communautés.

Libérer les blocages et les secrets

Plusieurs projets s’effectuent à la demande d’enfants qui savent que leur père a besoin de se libérer du poids d’un passé douloureux. Après une ou deux rencontres de mise en confiance avec le biographe, certains témoins directs parviennent à se libérer. C’est le cas récemment de plusieurs combattants « fellagas » ayant tué des soldats français. Pour l’écrivain, ce fût un moment magique. Mais tout ne peut être dit. L’essentiel consiste à obtenir une forme de libération.

En 2021, un livre particulièrement pognant revient sur les tragiques manifestations qui se sont déroulées à Paris durant cette période. La plus violente d’entre elles a lieu durant la soirée du 17 octobre 1961. Alors que le préfet Maurice Papon a interdit à tous les Algériens de circuler la nuit, une manifestation pacifique est sévèrement réprimée par la police. Les manifestants sont roués de coup dans les commissariats ou jetés dans la Seine. Les estimations font état de plus de 200 disparus. Longtemps nié par les autorités, ce massacre sera reconnu par le France en 1997.