Raconter ses souvenirs personnels avant la rencontre
La biographie de couple constitue sans doute le projet le plus enthousiasmant à mener pour un biographe familial. Il a en effet l’assurance de collecter d’innombrables anecdotes. Surtout, il va pouvoir s’imprégner de rares moments d’émotion.
Ce genre de projet biographique commence toujours par un premier rendez-vous durant lequel le biographe doit inspirer une confiance absolue aux époux qui le reçoivent chez eux.
Les interviews chacun de son côté
Une fois que les interviews démarrent, chacun doit être interviewé de son côté, si possible dans une pièce différente, pour ce qui concerne les passages personnels de son existence, avant la rencontre. L’homme raconte ses souvenirs d’enfance, son éducation, sa jeunesse jusqu’à la rencontre avec son épouse. La femme agit exactement de la même manière. Il ne doit exister aucune intervention ou commentaire de l’un ou de l’autre vis-à-vis de ce que raconte le conjoint.
Au début des années 2000, lorsque nous avons démarré notre activité, nous avions fait l’erreur d’interviewer les deux conjoints en même temps ! Nous nous sommes vite rendu compte du problème : la plupart du temps, l’un prenait l’ascendant sur l’autre, sans hésiter à remettre en cause ses propres souvenirs d’enfance !
En se confiant au biographe chacun de son côté, on a la sensation réelle d’être pris en main, chouchouté et mieux compris. Il est ainsi plus facile de parler à cœur ouvert, de livrer, non pas forcément des secrets, mais des explications plus fines et détaillées. Cela peut être le moment de dire des choses importantes à son conjoint, de faire passer des messages. Certains clients en profitent pour exprimer des messages qu’ils n’ont pas su dire oralement. Il s’agit en quelque sorte d’une thérapie de couple. « Il arrive en effet que les interviewés veuillent faire passer des messages à leur conjoint. Avant de s’adresser aux descendants et au reste de la famille, on s’adresse à la personne qui est assise dans la pièce d’à-côté, attendant son tour pour être enregistrée ! », explique Daniel. Ce biographe du sud-est de la France a écrit plus de cent récits biographiques dont une vingtaine de biographies à deux voix.
Révéler des secrets aux enfants
A l’instar du psychologue ou du psychanalyste, l’écrivain sert d’intermédiaire, de catalyseur. Par son biais, la forme des messages et des informations se précisent, leurs contours s’affinent. C’est pour pourquoi les intéressés apprécient particulièrement ce travail pour s’exprimer à l’autre. Grâce à la précision et l’immuabilité de l’écriture, ils ont confiance dans la portée et l’impact de leur pensée la plus profonde. Ils économisent ainsi beaucoup d’argent, les séances chez le psy étant nettement plus onéreuses que celles effectuées en compagnie du biographe !
Evidemment, un tel projet ne peut être conduit par une personne inexpérimentée. Certes, il faut toujours une première fois et de nombreux écrivains publics, bien que chevronnés, n’ont jamais encore réalisé de livres biographiques à deux voix mais il est nécessaire d’avoir une certaine maturité pour mettre à l’aise les deux principaux protagonistes. Il s’agit en effet de pénétrer l’intimité de deux personnes qui se connaissent parfois depuis plus de cinquante ans ! Pas question de se laisser mener en bateau ou de passer à côté de l’essentiel.
Un écrivain expérimenté saura déceler les attentes de chacun, les frustrations, les désirs inavoués. Il saura également manœuvrer dans la complexité des demandes émanant des tiers : les descendants mais aussi les proches qui vivent aux cotés des deux protagonistes.
Lorsque les deux interviewés abordent ce qu’ils ont vécu en commun, au bout de quatre à six heures d’enregistrement en moyenne, les entretiens prennent une tournure beaucoup plus dynamique et enjouée. Les répliques fusent en tous sens, les conjoints s’en donnent à cœur joie ! En témoigne Claude, récemment interviewé dans le cadre d’une biographie à deux voix : » c’est sur les conseils et l’insistance de notre petite-fille Amandine que nous nous sommes lancés dans cette superbe aventure littéraire, non sans appréhension. Finalement, l’opération se révéla plus facile que prévu… Et même agréable. Il fut en effet touchant de se remémorer toutes ces anecdotes, toutes ces époques, tout ce temps passé. Des événements, heureux ou malheureux, des personnages, des rencontres, et surtout, une famille aimante et soudée autour d’une même passion pour la terre et ses productions. » Les paroles s’enregistrent puis s’orchestrent dans un manuscrit qui laisse ressentir cette joie de vivre. Parfois, les biographes n’hésitent pas à construire le récit sous forme de dialogues, à la manière de pièces de théâtre. Cela donne un récit très vivant, agréable à lire.
Ecrire et éditer le roman de sa vie de couple
Fusionner deux livres en un seul ouvrage
Il arrive parfois que les jeunes préfèrent offrir un livre à chacun de leurs parents. Ils ont l’impression que leur cadeau sera ainsi plus valorisé. Ils ont souvent l’impression que l’un de leur parent a beaucoup de choses à raconter et l’autre non. Ou que l’un des deux sera enthousiaste, bavard et dynamique tandis que l’autre aura surement envie de rester à l’écart sans se mêler du projet. Il est rare que tout se passe comme prévu !
Dans ces cas, nous leur proposons toujours d’essayer le livre à deux voix. Après tout, il s’agit de fusionner deux livres en un, tout du moins en ce qui concerne les parties de la jeunesse.
Il peut également survenir qu’un projet démarre pour un grand-père ou une grand-mère sans que le conjoint ne soit prévu de participer aux interviews. Parce qu’il n’en a pas envie, qu’il pense n’avoir rien à raconter, ou parce que les jeunes n’ont pas jugé opportun de lui proposer. Dans ce genre de situation, il arrive souvent que ce conjoint soit invité à rejoindre les entretiens en cours, pour le bonheur de tous.
L’idéal consiste à fusionner le projet de deux livres dès le départ. Lorsqu’il se présente sous la forme d’un cadeau pour les parents, c’est toujours une magnifique surprise pour les intéressés : « Écrire sa vie ! Quelle idée ! Quand, à l’occasion de nos cinquante ans de mariage, nos enfants nous ont offert ce cadeau, Majo et moi étions plutôt perplexes. Quel intérêt d’écrire sur nous ? Qui cela pouvait-il bien intéresser ? N’était-ce pas un peu prétentieux que de vouloir faire un livre de notre existence ? Les pages blanches étaient là, le crayon à côté… ne restait plus qu’à appuyer sur le bouton pause du film de notre vie, comme lorsque l’on souhaite le revoir au ralenti pour mieux en apprécier les images. Et elles ont défilé, les bobines ! Les flash-backs, les séquences, les gros plans… c’est qu’il y en a des figurants au générique de notre vie », explique Michel dans la préface de son livre « Itinéraires de deux époux gâtés » qu’il a fait éditer avec son épouse Marie-Josèphe.
Un véritable projet de vie en commun
Une biographie à deux voix bien menée et orchestrée avec finesse par l’écrivain aboutit toujours à une édition exceptionnelle. Au fil des séances de travail, spécialement lorsqu’ils commencent à se réunir tous les deux en présence de leur biographe, les deux participants se rendent vite compte du potentiel éditorial de leur projet. D’où l’enthousiasme qui les prend à ce moment. Le résultat final de ces biographies de couple s’avère toujours positif au niveau du texte mais aussi en ce qui concerne l’édition en tant que telle. Ces livres de plus de deux cent cinquante pages comportent beaucoup de photos contextualisées, les chapitre sont denses et un ou plusieurs cahiers photos s’attachent au milieu et à la fin.
A un âge où chacun a tendance à vaquer à ses occupations, ses hobbies, il est difficile de trouver une activité à partager, un centre d’intérêt commun. Ce livre à construire à deux constitue une formidable opportunité de partager des moments ensemble. Comme cela pourrait être de l’achat d’une maison, de la rénovation d’un lieu, de l’entretien d’un jardin, la réalisation de ce livre représente un vaste projet. Sans doute l’un des derniers. « Il est impossible de rendre compte de la totalité d’une vie, comme il est illusoire de vouloir embrasser d’un seul coup une réalité vécue. Laissons à l’imaginaire de chacun le soin de mettre les couleurs aux pages blanches, d’ajouter au texte ses propres caractères. L’essentiel réside, en fin de compte, dans la transmission d’un message intemporel, par l’acte même, sincère et véritable, de se dévoiler aux autres, pour les autres et pour ceux que l’on chérit », se souvient Dominique qui a collaboré à la très jolie biographie des époux Mourot « Du sable sur la neige ».
